D E R N I E R E M E N T . . .

CZECH-LIST

CHECK LIST. Sous ce nom barbare et mystérieux se cachaient en réalité nos premiers stages cliniques au chevet du patient. A Strasbourg, à pa...

Mon stage infirmier

Six heure. "HUITIÈME ÉTAGE", beugle l'ascenseur avec sa voix efféminée. Je suis bien au bon étage, mais du mauvais côté. Heureusement, on me guide gentiment vers le service d'oncologie. La cadre de santé me fait faire le tour du service, me donne un pyjama d'hôpital puis m'emmène dans la salle des soins pour me présenter l'infirmière dont je serai l'ombre l'espace d'un mois : "- Alooors, ce mois-ci, l'infirmière qui encadrera l'étudiant en médecine sera... Amélie !   - Putain, nan...". Du fond du cœur.

Je m'attendais à être le boulet d'une infirmière mais là, je ne savais même plus où me mettre. Faut se dire que l'hosto est un monde à part : un code vestimentaire propre, des règles hygiéniques importantes, les médecins, les inf, les aide-soignantes, les ASH, la diététicienne, les kinés, les secrétaires ; chacun sait ce qu'il à a faire et le fait à un rythme effréné même si on a constamment le sentiment que tout le monde est à la bourre dans son taffe. Et puis dans toute cette fourmilière il y'a toi, le néo-P2, qui est aussi utile qu'un appendice. En parlant de code vestimentaire, je découvrais lors des premières heures dans le service qu'il existait une tendance affectant les pieds de tout le personnel, que ce soit médecins ou soignants : les CROCS. Certains les décorent même de pins en tout genre, véritable monnaie d'échange. "Pouah, moi vivant, JAMAIS j'aurai ça aux pieds ! Plutôt réapprendre un cours d'histologie !" Alors à posteriori, comment vous dire que seuls les idiots ne changent pas d'avis ? Mais c'est une autre histoire...

Qui a dit swag ?
Du coup, chaque jour, je suivais mon infirmière adorée à la trace, en veillant toujours à être quelques mètres derrière elle à tel point qu'à chaque fois qu'elle voulait s'éclipser pour aller aux WC, elle se retournait vers mois, blasée :
 "- Je reviens...  
  - D'accord, ça marche, c'est cool, je vais survivre, prends ton temps, c'est cool".
C'est pas cool du tout. "Est-ce que je l'attends devant la porte des WC ? Nan ça fait trop le type chelou". Pff !

Heureusement, Amélie a réussi à refiler l'espace d'une semaine la patate chaude à ses collègues aide-soignants parmi lesquels figurait Marie-B., adorable et très didactique, qui m'a tout appris concernant l'organisation du service et son métier. Durant mon interlude avec elle, j'avais une mission vitale chaque matinée : prendre les constantes (fréquence cardiaque, tension artérielle) de la moitié des patients avec le dynamap (une machine). Outre cette mission sexy, ça me permettait de pouvoir parler de tout et de rien avec les patients et ça c'était le très bon côté du stage. Etre apprenti AS impliquait également de mettre la main aux fourneaux si on peut dire ça et apprendre à réaliser une toilette complète ou changer la protection d'un patient. Au premier abord, cela pourrait paraître repoussant. Mais en réalité, c'est un service rendu qui devient vite machinal tout en changeant notre rapport au corps humain : humilité, respect de la pudeur, création d'une relation de confiance.

Le dynamap, ma partenaire d'un mois
L'intérêt principal de ce stage ne résidait malgré tout pas vraiment dans l'observation du travail des infirmières, la prise de tension ou le nettoyage du sol (seuls moments où je me sentais vraiment utile et fier de ma journée par ailleurs). Non, ce qui cristallise mes souvenirs reste ce premier contact avec les patients qui fait que tu sais si oui ou non tu es fait pour ce métier. Je n'effacerai jamais de ma mémoire cette conversation avec Mme M., atteinte de cancer pulmonaire métastatique en phase palliative, lors d'une tournée matinale de routine pour les constantes. A côté de son lit relevé à mi-hauteur, se dresse la potence soutenant les différents médicaments antalgiques. Elle est pâle, cernée et exténuée mais conserve quelques cheveux bruns coupés courts.
"- Bonjour Mme M., c'est X, je viens vous prendre les constantes, comment s'est passée la nuit ?"
Elle esquisse comme à son habitude un sourire en guise de bonjour puis hausse les épaules, lève les sourcils et soupire : c'est qu'elle a du mal à respirer aussi, mais certaines choses se passent de mots. "On m'a dit que votre fille passera vous voir cet après-midi, ça va être bien !", je reprends. Comme réponse, Mme M. regarde la fenêtre pendant que je lui enroule le brassard du tensiomètre autour de son bras et laisse échapper un autre soupir avant de souffler de façon difficilement audible :
"- Regardez-moi... ce sera le seul souvenir qu'elle aura de sa mère..."

Mme M. est décédée le deuxième samedi du mois de stage.
Elle n'avait jamais fumé.
Elle avait 32 ans et sa fille en avait 2.

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